Rose et Massimo



Rose et Massimo, Félix Radu, Fayard, juin 2023


Cela faisait très longtemps que je n'avais pas lu de pièce de théâtre. Le style théâtral est pourtant accessible mais je pense être restée sur de vieux "classiques" poussiéreux imposés à l'école et qui ne m'ont pas convaincue de la modernité que pourrait porter en lui ce style littéraire (même le théâtre de l'absurde, plus moderne, est éloigné de la Vie).

A travers le plaisir de recevoir en cadeau la pièce de théâtre de Félix Radu, je découvre l'univers littéraire de ce jeune prodige belge de 27 ans qui insuffle l'amour et le romantisme dans les studios de RTBF.

Je le connaissais de ces chroniques mais alors comment écrit-il ? Comment est-ce possible d'écrire l'Amour lui, qui le déclame joignant aux mots une intonation, une mimique, une énergie...qui viennent compléter et appuyer ses propos ?

Je me plonge dans la lecture pleine de curiosité. 
La pièce est un huis-clos : 4 personnages font l'histoire (Rose et Massimo : les principaux protagonistes, Rubus : garde de Rose, et Aldo : meilleur ami de Massimo). 
On pourrait qualifier l'histoire comme étant le même scénario qu'un Roméo et Juliette. Toutefois, elle me semble plus intimiste avec ces 4 personnages seulement, avec lesquels on reste tout le long de la pièce qui se déroule devant nos yeux (ah oui, parce qu'en lisant, on voit même la pièce se jouer devant nous ! Là est toute la magie de l'auteur ! ). 

Rose, la princesse, souhaite apprendre l'italien. Aldo devait se rendre chez elle pour le lui apprendre mais pris d'un chagrin d'amour, il est en incapacité de donner suite à ce travail pour lequel il est embauché. Il demande alors à Massimo de le remplacer : Massimo qui n'a que le nom d'italien et ne parle pas un mot de cette langue. Il relève toutefois le défis et fait la connaissance de Rose et de son garde Rubus. Ne parlant pas italien, il lui parle d'Amour, langage universel...

La pièce est une histoire d'amour à tout niveau :

Aldo : représente une histoire d'amour sans lendemain mais qu'on ne clôt pas car elle a un goût d'inachevé qui laisse entrevoir des possibilités...impossibles...

Rubus : qui a souffert de l'absence d'un père, prend sa place auprès de ce dernier en devenant le garde de Rose. Une manière de veiller sur sa demi-soeur. On est dans  l'amour filial, dirigé par des codes sociaux.

Massimo : qui semble ne pas avoir de famille semble s'accomplir par lui-même, comme s'il était un organisme autotrophe (donnez lui la lumière de Rose et un substrat de partage  du le coeur, et il grandit)

Rose : soumise aux codes de sa société et un amour filial plus proche d'une prison que d'une expansion, on sent qu'elle bouillonne mais que le cadre imposé est rigide empêchant son expansion

Cette pièce offre la possibilité d'être lue sous différents angles et fait preuve d'une intemporalité et d'une absence de spatialité qui permettent de la transposer dans n'importe quel univers à n'importe quelle époque. Elle est universelle.

Et certaines tirades sont magnifiques à lire et intemporelles de vérité.

Voici mes préférées :

Rose, page 30 : "le présent n'est que le futur qui danse et le passé qui gronde. La vie est jalonnée de touches noires et de touches blanches, ne vouloir jouer que d'une couleur, c'est limiter sa vie aux chansonnettes ou à la dissonance. Les grandes musiques, les symphonies, passent de l'une à l'autre, accompagnant les arpèges futurs des accords du passé. Quelque fois ce qui semble faux d'un côté, sonne juste de l'autre..."

Rubis, page 40 : "ma mère disait souvent : "Quand on a les yeux ouverts, on voit ce qu'on a ; quand on a les yeux fermés, on voit ce qu'on voudrait. Voilà pourquoi on dort les yeux fermés et que l'on continue de battre des paupières toute la journée"".


★☆★☆

Dans le même livre, Félix Radu adresse une lettre au lecteur (définitivement, j'adore ces morceaux d'écriture intimistes qui se trouvent en fin de livre et que beaucoup ne lisent pas. Moi, je me délecte de lire pour en arriver à eux. Ils offrent souvent un éclairage nouveau). 

Sa note au lecteur a raisonné en moi alors même que dans l'actualité on apprend que le Louvre va augmenter ses tarifs d'entrée de 5€ en 2024. Je trouve qu'on a déjà une fâcheuse tendance à cliver : les modernes/les classiques, les artistes/les autres, les cultivés/les idiots. Après avoir vu cette information  j'étais en colère du clivage financier qu'on est en train de créer en fixant des tarifs qui ne seront pas accessibles à tous.

Et puis la colère passant, je me suis dit qu'il fallait réfléchir autrement et faire sauter le cadre  imposé et s'en affranchir. Je crois qu'à un moment donné il faut aller chercher la culture ailleurs que dans ces lieux et arrêter de penser que les gens cultivés sont ceux qui ont lu des "classiques" ou qui sont allés dans des "musées". Tout comme appeler "artistes", les personnes qui ont peint des tableaux cotés ou sont disque d'or.
Les artistes et la culture sont partout : ils sont le fait d'un intérêt et d'une mise en relation. La culture et l'art sont à portée de main mais simplement ils ont changés de supports, de formes, d'appellations. Arrêtons les clivages avec une vision rétrograde de la génération actuelle et de ses moeurs, et apprenons / partageons ce qu'elle peut nous montrer de modernité, de changement et de partage pour créer de l'intérêt et de l'ouverture d'esprit autour d'une culture et d'un art qui sont la Vie, la vraie, pas celle poussiéreuse des oeuvres d'antan.

Et dans le même temps, je lis la lettre au lecteur de Félix Radu dont voici un extrait  "Je me suis demandé pourquoi l'humanité s'était arrêtée d'écrire des "classiques" ou du moins d'en distribuer le titre. Faut-il être vieux ? Est-ce trop tard ? Sommes nous condamnés à n'écrire que du "contemporain" quotidien et somme toute agréable ? Je pense que c'est l'une des raisons qui éloignent la jeunesse des lieux culturels aujourd'hui. A l'école, on la persuade qu'il est tard pour écrire l'Histoire. Que les grandes oeuvres ont toutes été écrites par des barbus et des vieilles dames dans des cadres en bois. Elle n'a le droit que de s'amuser avec un alphabet qui n'est pas le sien. Elle n'a pas ses "classiques" et ne peut que les emprunter à la génération précédente qui la regarde faire mumuse avec son rap et ses vidéos. Pourtant, chaque génération a ses créatifs , ses artistes, ses personnages de roman exilés. Mais puisque la plupart se croient illégitimes du mot "culture", ils préfèrent au théâtre des lieux plus underground. Moins prétentieux. YouTube, Twitch ou TikTok, pour ne citer qu'eux. Quand on y pense, quelle génération peut se vanter d'avoir autant d'enfants capables de tourner, danser, écrire, jouer, chanter, monter, retoucher quotidiennement et dans leur temps libre. Définitivement l'art n'est pas mort, il a juste changé d'endroit et de moyens d'expression."


Merci Félix...

Commentaires

  1. Ça fait bien longtemps que je n’ai pas pris le temps de lire…
    Ça fait un moment que je pense à lire cette pièce…
    Définitivement tu m’as convaincue que je devrais vraiment le lire… !
    Merci Estelle ♥️

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Bonjour à toi ! Merci d'avoir pris le temps de partager un commentaire sur mon blog. Je prendrai le temps de le lire comme tu as pris le temps de l'écrire. Tu vois, nous sommes vraiment dans le donner-recevoir où chacun fait sa part...Grâce à ton action, les mots continuent à vivre, résonner, voyager à l'intérieur de toi et ça se voit à l'extérieur ! MERCI d'être toi !

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