Une nouvelle étape de vie : la rencontre avec la colostomie, avec l'oncologue...

Vivre et mourir à chaque instant, résilience et gratitude

Mercredi : Mon rythme cardiaque est calme à l'opposé de l'agitation qui règne dans le bloc. Je suis prête pour l'opération de la nouvelle chance, je suis prête à ne plus souffrir, même s'il m'en coûte un trou dans l'abdomen pour faire passer mon intestin et une poche collée sur mon ventre H24, je suis plus que prête à retrouver mes facultés intellectuelles et à pouvoir raisonner sans le brouillard qui dilue mes pensées.
Je me réveille quelques heures plus tard sans douleur, soulagée. Je me rendors jusqu'au milieu de la nuit et suis réveillée lors d'une venue des infirmières qui prennent les constantes. Je commence à parler, réfléchir et même saoûler mon mari qui dort d'un oeil dans le lit d'à côté. Je sens qu'Estelle est revenue avec force et détermination. C'est reparti pour un tour !


Jeudi : Lendemain d'opération...RDV avec l'oncologue. A nouveau, j'avais le choix de repousser ce rendez-vous mais j'ai préféré battre le fer tant qu'il est chaud pour avoir toutes les cartes en main quitte à me les approprier pleinement plus tard : en route voir l'oncologue...
Mon mari m'accompagne pour ce rendez-vous car nous estimons qu'il est préférable d'être deux à écouter la masse informations et parce qu'à J+12h d'une chirurgie, je ne suis pas sûre de tout comprendre... 
Me voilà avec une dégaine à toute épreuve : traverser le couloir pour changer de service en chemise d'hospitalisation, la potence à perfusion pour béquille, la poche éléphant de la stomie qui pendouille...une manière tonitruante d'assumer que je suis passée du côté "des malades".

Je ne m'attarderai pas sur le protocole, les pathologies étant toutes différentes. Pour mon cas nous partons sur 6 chimios avant opération du foie (elles seront finalement 7 pour avoir un minimum de temps sans traitement avant chirurgie hépatique) et 6 après chirurgie.
J'en ferai donc 13 au total au lieu de 12 (les 6 après chirurgie étant obligatoires...). 

Ce RDV très formel commence dans l'humour, tant qu'à faire autant planter le décor de suite :
- L'oncologue : "Mme Roux, bonjour ! Qu'est-ce que je peux faire pour vous ?"
- Moi : "alors j'étais venue pour jouer au tennis, mais finalement on m'a trouvé un cancer et on m'a dit que vous vous y connaissiez, ça tombe bien !". 
Et voilà comment a débuté mon suivi humoristique...euh oncologique avec ce spécialiste, mon cher Doc US qui va me suivre même après chimio pendant un long moment...

Il est important de capter sur quel canal est accessible l'interlocuteur qu'on a en face de nous et également quel canal nous souhaitons utiliser pour "se faire plaisir". Cette manière de faire m'a permis des instants de connivence et d'humanité qui m'ont fait du bien.


Vendredi : A ce rendez-vous formel et pragmatique a suivi un RDV avec une infirmière d'oncologie. 
Dans la clinique où j'étais, chaque patient cancéreux voit une infirmière du service oncologie avant de débuter son traitement. Ce rendez-vous est plus informel qu'avec l'oncologue et nous échangeons à la fois sur la partie pragmatique ("comment cela se passe quand je viens dans le service?") mais aussi et surtout sur la partie émotionnelle et familiale du comment on a vécu le diagnostic et comment on vit la maladie actuellement.
Ce rendez-vous est une pépite et je le souhaite à chaque patient qui doit suivre ce genre de traitement. Il permet de vider son sac auprès de quelqu'un qui est à la fois empathique et à la fois dans le monde médical : un pied dans la vie/un pied dans les protocoles strictes. Le juste équilibre qui nous permet d'être stable et à l'écoute des deux domaines de l'émotionnel et de l'intellectuel.


Les jours suivants jusqu'à ma sortie le mercredi : Après la pose du cadre de la partie chimiothérapie, il faut apprendre à faire avec ce nouveau corps et équipement de la stomie. Patience et abnégation...des termes que je connaissais mais que j'étais vraiment loin de maitriser.

Mon mental s'est rapidement mis à l'unisson (le mode "survie" était enclenché et là il n'y a pas de dissonance, tout le monde est prêt à aller dans le même sens) : cette opération m'a sauvée la vie et le chirurgien ne s'en était pas caché en me disant qu'il n'aurait pas fallu une journée de plus pour que mon intestin éclate.

J'ai pris les choses avec douceur, j'étais en sécurité, en milieu hospitalier, je sentais que je ne risquais rien et que je pouvais parler de tout. Finalement je souhaitais que tous les cas de figure se présentent maintenant de manière à ce que lorsque je rentrerais chez moi, je puisse parer à toutes les éventualités.
Alors j'alertais quand une fuite faisait son apparition (quelques fois c'était 6 fois par jour...), je sortais le week-end durant mes permissions pour apprendre à faire à l'extérieur avec ce matériel mais aussi pour expliquer textuellement à ma famille ce qu'était ce nouveau dispositif, ses points forts (ma survie), ses points faibles (les fuites et les brûlures). Une vraie commerciale de poche à caca !

Cette étape à l'extérieur de la clinique et à l'extérieur de chez moi, 3 jours après avoir été opérée a été une étape décisive pour réexpliquer clairement et matériellement les processus de traitement. 
J'ai été très factuelle avec mes proches et ai donné les informations sans émotionnel. C'était nécessaire pour me protéger et qu'ils comprennent clairement sans qu'ils viennent à interpréter un signe, une émotion et s'y perdent. Ils ont leurs émotions, les faits sont les faits, on est encore en train de planter le décor alors ne nous perdons pas en conjectures émotionnelles. Je deviens égoïste, égocentrique et je l'assume.

Mes émotions, c'est à moi de les gérer et de trouver le canal qui convienne, ou les personnes qui pourraient m'aider. L'écriture est arrivée dans ma vie comme une évidence après des années à étudier et choyer les Lettres et c'est là où j'écrivis mon premier post Instagram® pour annoncer ma maladie auprès d'un réseau plus large de connaissances que mon mari et moi avons.


Quelques jours avant la sortie : l'alimentation liquide puis solide reprend la semaine suivante. On me laisse gérer à mon rythme en me proposant de tout. On me laisse aussi dire quand je souhaite rentrer à la maison : le maximum étant une semaine post-opératoire, le minimum étant quand l'alimentation solide est réintégrée. 
Je décide de partir voler de mes propres ailes une semaine après opération après avoir fait le point avec une diététicienne et l'infirmière stomathérapeute qui me suivra à mon retour à domicile. 
La baguette est enlevée sur mon intestin "extérieur", Dame Stomie est prête à rentrer à la maison et à recevoir les soins de moi-même.

Cette possibilité d'avoir eu le choix : de rester plus longtemps, de partir quand je me sentais prête, m'a fait le plus grand bien.
Toute cette première grosse période d'hospitalisation, de mort de l'ancienne Estelle de naissance de la nouvelle en un temps record (car il s'est passé moins de 15 jours entre le premier examen, l'annonce, l'opération de la stomie, le rendez-vous avec l'oncologue et la sortie) a été extraordinaire. 

J'ai expérimenté le "vivre et mourir à chaque instant" : "vivre" d'inspirer ma présence à mon corps, à mon esprit, la perspective d'une vie après, "mourir" en expirant la peur, l'injustice, le deuil de la vie d'avant. Enclencher le processus de résilience...

J'ai une gratitude infinie pour tous ces moments violents, doux, brutaux, fluides, vécus dans cette clinique. L'encadrement médical qui m'a pris en charge, la famille, les amis proches qui ont été là pour nous. L'humanité, qui a émané de ces personnes, a fait émerger en mois le terme de "gratitude". Terme qui surpasse tous les sentiments et teinte la vie d'une douceur infinie...


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