Le trauma et les grigris

 



Prise de sang n°356...Comme chaque trimestre, c'est bilan scanner injecté + prise de sang + rendez-vous oncologue.

Encore perturbée par l'examen du trimestre précédent qui m'avait obligée à refaire une IRM et un Petscanner, je n'avais pas vraiment envie de me remettre dans les examens. Mais dans la vie "on ne fait pas que ce qu'on veut ma chère Estelle !".
Et allez, hop, le marqueur ACE au-dessus de la norme et Estelle en-dessous de la normale.

Le scanner est bon mais "étant donné le contexte" (cette salop**** de phrase que j'entends depuis deux ans), il faut que je refasse une prise de sang dans un mois puis rendez-vous oncologue et on verra ce que dit la suite et les examens complémentaires qu'il faudra peut-être ajouter le "cas échéant" (deuxième expression qui m'insupporte depuis 2 ans aussi qu'on se le dise par la même occasion !).

Là, franchement, "le cas échéant" et "étant donné le contexte" j'en ai archi ras le bol de vous les gars !

Ces moments d'annonce ou de lectures d'anomalies me propulsent à chaque fois dans le tourbillon de la peur viscérale de l'annonce du cancer (je ne dis jamais "mon" cancer ou "ma" maladie, tu remarqueras, parce que je ne souhaite pas qu'ils m'appartiennent et d'ailleurs ce n'est pas toujours compris : on me fait souvent répéter pour comprendre que c'est bien moi qui ai eu un cancer, tout ça parce que je n'utilise pas de possessif).
La peur viscérale donc : celle-là même qui en 10 secondes me donne une sueur froide qui coule le long de ma colonne vertébrale, me coupe toute force dans les jambes, me donne froid dans tout le corps au point que je tremble et claque des dents alors que le haut de ma tête est en combustion. Un mécanisme dingue qui me vide en moins de temps qu'il faut pour le dire et qui me laisse en plan comme après le passage d'une tempête : délabrée.
Ce même sentiment que Jean-Claude MOURLEVAT relate dans Mes amis devenus (Fleuve Editions, 2016) : "- je suis malade. Au moment où il prononce ces 3 mots, je ressens ce fugace vertige, ce vacillement de la conscience qui accompagnent les quelques annonces, trois ou quatre seulement dans une vie, mais qu'on n'oublie jamais. On se rappelle qui nous les a faites, dans quel lieu, dans quelles circonstances, à quelle heure de la journée, on se rappelle le ton de la voix".

Alors je rapatrie les parts de moi qui se sont dispersées durant la tempête. La stupeur, la peur, la tristesse, l'injustice, la colère arrivent et se bousculent en l'espace de 10 secondes elles aussi.

Je rame...d'abord revenir aux faits sans bla-bla et en parler à mon mari en mettant les émotions de côté pour ne pas impacter. Mais elles n'en décident pas de la même façon et reviennent par vaguelettes qui poussent les tripes pour amener à briser les dernières digues et pleurer, hurler.

Je ramasse encore les parts de moi qui se sont éparpillées et qui laissent le trou qui fait prendre l'eau. 
Pour qu'elles tiennent en place, il me faut du scotch. Le scotch, c'est les copines à qui je peux vider le trop plein de bla-bla mental, le médical et le "bordel qu'est ce que j'ai mal de vivre tout ça!" parce qu'elles ne jugent pas et n'attendent rien de moi, j'ai juste être qui je suis.

La structure reprend un peu de solidité avec le maintien des pièces d'âme par le scotch-copines, alors l'énergie remonte sans se barrer par tous les trous et je reprends mes grigris qui me recentrent :
- d'abord ma bouteille d'eau informée : je psalmodie à mon eau que "tout va bien" et que "je suis guérie" pour qu'à chaque gorgée que je bois, cette information alimente mes cellules,
- puis la visualisation, chaque jour je me concentre et imagine qu'une lumière dorée entre par ma bouche et passe dans chacun de mes organes pour les nettoyer et les charger en énergie,
- le sport : dans ces périodes d'attente, j'ai un besoin accru de communiquer avec mon corps et de le sentir vivant, alors j'augmente ma pratique sportive,
- le centrage : revenir à la question et au point de départ de la tempête : "les ACE ont augmenté et sont un peu plus haut que la norme". OK, on ne m'a pas dit que le cancer revenait, on a dit qu'il fallait recontroler, alors avance Estelle et fais ce que tu veux !
- je me mets en route alors, je continue les projets et je reprends ma wish-list pour cocher les cases en veillant à donner de la consistance aux instants vécus.

Et quand les vagues reviennent me frapper, je reprends mon scotch-copine et mes grigris....ainsi va la vie.

☆★☆★☆★☆★

Tout cela est mon parcours, il est totalement perfectible et il l'est sur un point que je qualifierais de "vital" : le trauma. 
Mon mécanisme de peur vit de par le traumatisme premier qui n'est pas réglé. J'ai très bien vécu les traitements et les opérations, j'ai pensé que tout était réglé. Mais avec ces deux épreuves coup sur coup en 3 mois, je me rends compte que le trauma initial n'est pas réglé et le risque est que ce mécanisme de peur devienne un fonctionnement habituel chaque fois que je rencontrerai cette émotion (en mettant toutes mes peurs dans le même panier, sans distinction d'importance). 
Alors je ne connais pas le diagnostic futur, mais la leçon que je tire actuellement de ces épreuves vécues est qu'il faut que j'aille interroger ce traumatisme pour qu'il se remette en mouvement et ne soit plus envahissant. Je réfléchis encore à la technique à utiliser... La suite au prochain épisode...




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