Que la chimie soit...
Au pays de la potion magique...
Le chimios commencent une semaine après mon retour à la maison.
J'y vais sans trop d'inquiétude parce que je connais les lieux, parce que je vais y retrouver l'infirmière que j'avais vu en entretien, parce qu'une de mes amies infirmières m'avait informée que "l'état d'esprit dans lequel on va au traitement était très important" et que je vois le "produit comme une potion magique". J'attaque donc ma première chimio comme on va à la rentrée des classes : je remets un jean pour la première fois depuis mon opération, je mets mes chaussures neuves commandées avant d'être hospitalisée et reçues une fois hospitalisée. Je prépare mon sac avec livres, écouteurs, chargeur de téléphone, feutres et mandalas : 5 heures de diffusion, 2 heures d'attente pour avoir les produits...il faut être équipée...
Nous sommes placées deux par chambre. Les infirmières d'oncologie organisent les chambrées en composant les binômes en fonction de critères empathiques : elles regardent le cursus de chacun, la tranche d'âge...
Bingo pour ma binôme !
J'y découvre ma douce A qui comme moi débute les chimios. Le contact est fluide, on discute sans arrières-pensées.
On n'est pas là pour débattre, on est là pour partager nos expériences, nos ressentis, nous comprenons de suite que nous sommes là pour avancer ensemble...pour le meilleur.
Entre le fait de me retrouver dans un service où l'on rit, où l'on parle librement, où je sais que je vais retrouver A (nous avons demandé à être ensemble pour les autres chimios), arrivée dans un bon état d'esprit portée par les conseils de mon amie infirmière, globalement le déroulé de mon traitement se passe bien.
L'état d'esprit a réellement un rôle important sur la manière dont on va vivre le traitement et je crois que c'est d'autant plus vrai que les contrariétés influent beaucoup sur le digestif. Alors quand le digestif est malade et inondé de produits chimiques, se mettre dans sa bulle et chasser les mauvaises ondes est quasiment vital.
J'ai fait de mon mieux, mais les contrariétés se sont aussi présentées à moi et j'ai dû composer avec. Quelques exemples de ce que j'ai pu vivre avant les chimios et qui m'a fait les subir péniblement:
- la veille de ma 3ème ou 4ème chimio, je bouquine au lit quand après m'être gratté le côté d'un sein, je me rends compte que j'ai une boule. Mental en action : "boule = tumeur = cancer". Qu'est ce que je fais ? "J'en parle demain à l'oncologue ou bien je fais comme si je n'avais rien vu et je me dis que ça passera ?"
Ah oui parce que ce qui peut paraitre simple à celui qui n'a pas vécu l'approche de la maladie, est loin de l'être pour celui qui la vit : on encaisse un premier cancer, mais quand un pépin physique arrive, il n'est vraiment pas facile d'assumer. La politique de l'autruche sonne alors à la porte...
Après une nuit avec peu de sommeil, me voilà dans le bureau de l'oncologue à la visite pré-chimio et je lui explique le problème. Après auscultation, il me dit qu'il faut faire échographie et mammographie. Je lui demande si "le cumul des postes cancer est possible". Il me répond que je suis jeune, que j'ai pourtant un cancer colorectal métastasé, alors qu'il ne faut négliger aucune piste... Super me voilà rassurée...
Cette chimio a été la plus longue de ma vie car j'ai passé les 7 heures à attendre le RDV d'écho-mammo que l'oncologue avait réussi à avoir pour le soir-même à la clinique.
Evidemment contrariée, fatiguée, j'ai été au bord de la nausée toute la journée alors qu'en temps normal, je n'ai pas ces désagréments.
Finalement ce kyste s'est transformé en "des kystes" qui étaient liquidiens et sans danger.
Ouf, le cumul des postes peut aussi ne se faire que pour les politiciens...
- veille de chimio encore, je me rends compte que mon fils a une mauvaise note en français. A peine plus tard, je remarque que cette même note est transformée en "ajournée". Je demande des explications à mon fils et il me répond qu'effectivement il a eu une mauvaise note et que sa professeure lui a dit en fin de cours qu'elle lui supprimait "étant donné les circonstances" de ma maladie. Mon fils n'a rien trouvé à lui répondre et c'était une affirmation plutôt qu'une porte ouverte à une explication.
J'ai donc pris mon clavier pour envoyer un mail à la professeure lui expliquant que la mauvaise note de mon fils dûe à une mauvaise compréhension ou à un défaut d'apprentissage n'avait rien à voir avec ma maladie, et qu'on a toujours fait le nécessaire pour segmenter, qu'en conséquence s'il doit avoir une mauvaise note, qu'il l'ait et que nous ferions le nécessaire pour qu'il comprenne cette leçon non sue.
Elle m'a répondu que c'était sa manière à elle de l'aider. J'y ai vu une espèce d'intrusion dans le mode de fonctionnement que nous avions établi et cela m'a contrariée.
Et les amies nausées s'en sont données à coeur joie.
J'ai donc appris et surtout vécu que le mental était prépondérant à mieux vivre les traitements. Il est le meilleur antinauséeux que j'aie connu et pour le cultiver, j'ai informé mes proches qu'avant chimio : "on ne m'annonce pas de mauvaises nouvelles" et "on essaye de ne pas me contrarier".
Consciente que le travail est surtout à faire sur moi d'abord, il fallait que je mette déjà tout le monde dans la confidence. Mais je savais aussi que cette solution était non viable au long cours et qu'au lieu de dépendre de ce que d'autres allaient dire ou non, je devais apprendre à traiter les informations pour qu'elles passent le mieux pour moi.
Je ne peux pas changer les autres, les évènements extérieurs, mais je peux influer sur la manière dont ils m'atteignent et comment je les vis pour être indépendante d'une situation et autonome dans mon vécu de cette situation.
J'ai dû appliquer cette manière de penser assez rapidement :
- une de mes chimios a été déplacée car arrivée lors de l'entretien pré-traitement mes globules bancs étaient trop bas. Recalée au contrôle...merci, au revoir et à la prochaine !
Résultat : je bouge toutes les dates des chimios suivantes car tout est décalé d'une semaine (si tout va bien !) jusqu'à la fin du traitement, je bouge toutes mes réservations de VSL, décale les rendez-vous d'infirmiers pour les débranchements, injections, prises de sang et les autres RDV médicaux que je mettais les semaines sans chimios et qui bien sûr se retrouvent sur de mauvaises dates...
J'ai pris l'après-midi de mon retour express à la maison pour tout réorganiser et une fois les choses posées, je me suis demandée ce que j'allais faire de cette fin de semaine "libérée" de chimio. Et j'ai eu l'idée de m'organiser une randonnée en montagne pour le week-end avec les enfants afin d'aller prendre de la hauteur et stimuler les "blancs". Optimiser le changement et y trouver la liberté d'entreprendre pour soi...
- après opération, j'ai aussi appris que je n'aurais pas 12 mais 13 chimios au total. Le protocole était de 6 avant hépatectomie, 6 après hepatectomie. J'en avais fait 7 avant cette opération car il était nécessaire d'aller le plus près possible de l'intervention pour éviter que les cellules cancéreuses ne se redéveloppent, alors je me suis dit qu'après intervention je n'en ferais que 5 : 7 + 5 = 12 et hop le tour est joué ! Eh bien non, c'est toujours 6 après opération et ce, même si on a en a fait plus avant....Et allez on en ajoute une mais on ajoute aussi 15 jours de plus de traitement, on repousse de 15 jours la libération.
J'ai réussir à laisser filer, cela ne m'appartenait pas. Ceci est un "protocole", c'est comme ça et point barre. Ce que moi j'étais en mesure de faire, c'était simplement de gérer cette longueur et d'être à chaque fois le mieux possible en arrivant aux chimios. Le reste, je n'avais pas d'influence dessus...
En deux coups, j'ai pris 3 semaines de plus sur la durée du traitement. C'est comme ça et point barre.
Les chimios, quand finalement on les regarde de plus loin, sont une espèce de parcours initiatique. 12 chimios se sont transformées en 13, le report d'une chimio, la gestion d'un état de forme aléatoire avec un rythme soutenu et saccadé. Voilà pour la partie "intérieur de soi".
Pour la partie "extérieure de soi", il faut gérer une vie quotidienne où les autres avancent et vivent aussi des évènements qui vont nous impacter (deuil, mariage...) et finalement nous sommes un peu sur un radeau, à garder la tête hors de l'eau et à voguer au rythme des vagues.
Soit on résiste et sachant qu'on n'a pas le meilleur équipement, les vagues nous briseront, soit on s'adapte au rythme des vagues en ne faisant qu'un et on avance tranquillement et sans heurts.
J'aimais aussi prendre le temps lors de chaque chimio de poser la couleur de mes émotions à travers des mandalas.
J'ai coloré un mandala par cure. Cela m'a aidé à me centrer, à me poser (pour mieux sentir les vagues) et en même temps grâce à la couleur utilisée et au titre que je lui donnais, le mandala en cours m'informait de mon état d'esprit, de ce qui était important pour moi, de l'allié que j'avais à mes côtés pour passer cette nouvelle cure chimique.
Mettre de la couleur et imager son mental pour faire ressortir la force et la beauté d'âme enfouie sous les produits chimiques, et se laisser aller avec l'artistique : une espèce de reconnexion à son enfant intérieur qui donne de la légèreté au moment que nous vivons...du bonheur en couleur, des pulsations entre l'intérieur et l'extérieur de soi.
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